Dix Petits Nègres, superbement adapté par la BBC

and-then-there-were-none-review Je ne sais pas ce qui a fait croire à la BBC qu’une histoire de meurtres en série sur une île isolée, ça faisait Noël, mais toujours est-il que la prestigieuse chaîne britannique a proposé à ses téléspectateurs une apothéose originale pour clôturer l’année 2015 : une adaptation du célèbre roman d’Agatha Christie, Les Dix Petits Nègres. Découpé en trois épisodes, ce téléfilm au casting impeccable a permis de faire revivre une histoire inquiétante et sanguinaire à souhait. Ça ne fait définitivement pas Noël, mais comme ça tombait au moment de l’anniversaire des 125 ans d’Agatha Christie, la BBC n’a pas eu peur de tout mélanger. Après tout, la romancière elle-même aurait certainement apprécié ce mélange des genres plus que surprenant !

Tout commence par une invitation lancée par le couple Owen, propriétaires d’une fabuleuse villa sur une île isolée. Sept invités sont attendus et arrivent donc pour passer ce qu’ils pensent être des vacances reposantes. Deux domestiques sont déjà là sur place pour les accueillir, et une troisième domestique (la nouvelle secrétaire de madame Owen) les rejoint aussi. Ils sont donc dix, seuls sur cette ile déserte, sans moyen de communication avec le monde extérieur. Et pourtant, les propriétaires sont en retard ; on les attend, mais ils ne semblent pas arriver. Lors du dîner du premier soir, une voix retentit soudain dans la maison, accusant chacun des occupants d’avoir commis un meurtre. Une accusation théâtrale qui brise l’ambiance de la soirée… et pourrait bien receler une part de vérité. Lorsque les invités commencent à mourir dans des circonstances bien mystérieuses, les survivants ne peuvent plus douter : un meurtrier est présent sur l’île et veut tous les supprimer. Une course contre la montre va alors commencer pour déjouer les plans du tueur et tenter de survivre à ce guet-apens.

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Détail insolite : c’est au mois d’août dernier que j’ai lu pour la première fois Dix Petits Nègres. Moi qui suis une grande fan d’Agatha Christie et qui ai lu beaucoup de romans policiers de sa plume, je n’avais jamais lu celui-là, qui est pourtant très réputé. Autre détail insolite : je n’ai pas beaucoup aimé ce livre ! Déjà habituée au style Christie, j’ai trouvé que ce roman était dépourvu de l’humour que l’on trouve habituellement dans les autres récits de la reine du crime. En plus, même si je n’avais pas deviné précisément le coupable, j’avais compris la logique du meurtrier et sa motivation. Du coup, ça m’a un peu gâché la lecture. Surtout, je trouvais que la résolution de l’histoire n’était pas très satisfaisante : c’est le seul roman d’Agatha Christie que je connaisse qui ne présente pas un dénouement moral. En tout cas, je n’ai pas ressenti de sentiment de justice à la fin, et ça m’a un peu mise mal à l’aise.

Partant de considérations assez négatives, on pourrait croire que je n’aimerais pas cette adaptation ; bien au contraire, je l’ai adorée ! Dès le début du premier épisode, je suis tombée sous le charme et jusqu’à la fin j’ai trouvé que c’était une franche réussite. J’ai vraiment eu peur, malgré le fait que je savais ce qui allait arriver, et cette adaptation a réussi à susciter chez moi l’enthousiasme que le roman n’avait pas déclenché. Comme c’est bizarre de penser ça d’une adaptation !

Cette adaptation a de toute évidence été menée par quelqu’un qui connait l’univers d’Agatha Christie sur le bout des doigts, et pas juste le roman en question. On découvre des partis pris efficaces qui permettent à l’histoire de prendre une dimension surprenante, presque comme si on était projeté dans un thriller écrit par Stephen King.

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Déjà, l’ambiance est très réussie. On commence sous le soleil du bord de mer, avec la bonne société anglaise qui se rend en villégiature. Tous les codes sont respectés, de la hiérarchie entre maîtres et valets jusqu’aux codes vestimentaires et aux habitudes sociales. Mais tout ce décor de perfection va vite voler en éclats, et c’est l’instinct humain de conservation qui ne va pas tarder à prendre le pas. Au fur et à mesure, les bonnes manières font place à la paranoïa ; on glisse dans l’angoisse et l’atmosphère devient pesante. On s’attend à ce qu’un meurtre se produise à chaque instant, et le spectateur est tout autant sur le qui-vive que les personnages. Presque comme si notre vie à nous était aussi en danger.

Outre l’ambiance, les acteurs aussi sont très bien choisis. On retrouve avec plaisir Charles Dance dans le rôle du juge, mais aussi Sam Neill qui joui le général MacArthur, Noah Taylor qui incarne le majordome, et aussi l’inquiétant Burn Gorman qui prête ses traits au non moins inquiétant inspecteur Blore. Les dix personnages sont campés avec beaucoup de justesse, pas seulement dans leurs personnalités respectives, mais aussi et surtout dans les rapports de force qui s’installent entre eux au fur et à mesure que le danger se rapproche et que la suspicion devient intenable.

Cette adaptation du roman d’Agatha Christie fera très plaisir à ceux qui connaissent l’histoire car il met parfaitement en valeur les atouts de ce livre : son caractère oppressant, son questionnement sur le sens de la justice, l’imagination déployée dans la mise en scène des meurtres… En revanche, pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire, préparez-vous à avoir un choc : on est très loin des gentilles adaptations de Miss Marple ou de Hercule Poirot. Ici, il y a de la violence, du sang et une peur exacerbée. Des éléments qui donnent un formidable coup de jeune à une histoire redoutable, et qui permettent un peu de dépoussiérer l’image de la reine du crime. Car la gentille vieille dame a imaginé un roman dans lequel les plus bas instincts de l’homme sont convoqués : c’est à un véritable procès des faiblesses humaines que nous assistons, et on ne peut s’empêcher de se sentir un peu coupable soi-même.

Le dénouement de l’adaptation pourra un peu surprendre les lecteurs car il prend quelques libertés par rapport au livre. Des libertés subtiles qui remettent en cause la motivation du tueur, et j’ai beaucoup apprécié cette idée car elle offre une fin époustouflante qui fait froid dans le dos. Un défi lancé à la morale qui hantera certainement les téléspectateurs. Reste à attendre une éventuelle diffusion en France. J’imagine qu’elle devrait arriver tôt ou tard vu le carton d’audience que cette mini-série a fait en Angleterre. En attendant, vous pouvez toujours méditer sur cette phrase : « Qu’est-ce que vous feriez si vous étiez sur une île où les gens meurent les uns après les autres ? »

P.S : Pour information, la mini-série ne porte pas le titre du roman ; elle s’intitule And Then There Were None, qui est le titre américain du roman.

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