Mais d’où vient la rentrée littéraire ?

Café_de_Flore_01La science et la datation au carbone 14 nous renseignent sur beaucoup de choses et sont capables d’expliquer devant nos cerveaux ébahis que notre planète a un âge bien précis, que nous tournons autour du soleil, que les pyramides d’Egypte sont vieilles, et que l’Homme a beaucoup évolué au fil des millénaires. Soit. Mais il y a d’autres choses, plus miraculeuses, pour lesquelles la science n’a pas d’explication à nous fournir. Nous nous contentons donc de nous émerveiller car ces trésors existent, tout simplement. Il en va ainsi pour la glace au nutella et pour la rentrée littéraire. Et puisque ce blog ne parle pas de crèmes glacées, vous vous doutez bien que c’est de la rentrée littéraire que je vais vous parler.

Aux origines, il n’y avait rien…

La rentrée littéraire n’a pas toujours existé. Ça semble simple à dire, et pourtant elle est devenue tellement incontournable qu’on ne prend même plus le temps de se demander où et quand ce phénomène littéraire a bien pu commencer. Un phénomène d’autant plus surprenant qu’il est propre à la France : aucun autre pays dans le monde ne dispose d’une période à ce point définie pendant laquelle tout le petit monde littéraire entre en ébullition. La rentrée littéraire, c’est un peu les jeux olympiques de la littérature française… sauf que ça vient une fois par an !

Pour comprendre cet engouement purement français, il faut remonter dans le temps et rendre une petite visite aux fameux frères Goncourt. Jules et Edmond étaient LA référence littéraire de tout Paris. Et à eux deux, les aficionados de la plume sont à la fois de féroces critiques littéraires et d’ardents défenseurs des Belles Lettres. La tradition littéraire française n’est plus à faire, mais il faut toujours travailler dur pour soutenir la production contemporaine. Et quoi de mieux pour motiver les troupes que de créer un prix ? Les Goncourt l’ont décidé : à leur mort, un prix littéraire sera créé pour récompenser une œuvre de fiction française parue dans l’année. Le gagnant empochera le prix, la gloire ainsi qu’une somme rondelette.

L’essor des prix littéraires

Ce que les Goncourt n’avaient pas prévu, c’est l’engouement qui allait s’attacher à ce prix. L’idée de récompenser une œuvre enflamme la compétitivité des auteurs… et surtout des éditeurs. Car à la clef, le prix offre aussi une publicité fabuleuse pour le livre gagnant. Et pour ne pas être en reste, d’autres décident de monter eux aussi des académies littéraires afin de remettre des prix littéraires selon leurs propres critères. Le prix Femina est créé en 1904, soit un an tout juste après le Goncourt. En 1926, c’est le Renaudot qui voit le jour. En 1930, le prix Interallié. Et en 1958, le prix Médicis. Et puisque le prix Goncourt est distribué à l’automne, les autres décident de s’aligner à peu près sur cette date. Sauf que pour les éditeurs, il faut être prêts avant cette période : la période de fin août à fin septembre devient donc le top départ officieux de la folle course aux prix littéraires.

Des livres par centaines et un enjeu économique de taille

Désormais, la rentrée littéraire est bien entrée dans les mœurs, et les Français ont pris l’habitude d’entendre parler de littérature pendant tout le mois de septembre… Une bizarrerie qui laisserait dubitatives d’autres nations, mais pas nous ! Il faut dire qu’avec en moyenne pas loin de 400 livres par rentrée, il est difficile de ne pas remarquer ce phénomène sans équivalent. Pour les éditeurs, c’est le moment de sortit l’artillerie lourde : on programme le calendrier des parutions en fonction de ce seul événement, en sortant les auteurs éligibles à cette période précise ; les responsables marketing et communication sont tous sur le pont pour faire parler des ouvrages.

Du côté des libraires, la rentrée littéraire est un peu comme Pâques pour les chocolatiers : c’est le temps fort de l’année qu’il ne faut pas rater. Car entre toutes les nouveautés, les séances de dédicaces, les lectures et surtout avec les relais de la presse, il n’y a pas d’autre période où on parle autant de livres. De quoi donner envie aux lecteurs de se précipiter en librairie pour acheter les futurs best-sellers et dénicher la perle rare avant tout le monde. Loin d’être un pur snobisme littéraire, la rentrée représente des enjeux économiques d’autant plus importants que, depuis la crise du livre, le secteur ne peut pas se passer de ce formidable appel d’air. En effet, un livre qui remporte un prix littéraire se vend mieux que les autres. En moyenne, un roman se vend à plusieurs centaines d’exemplaires (on parle de milliers pour des auteurs gros vendeurs comme Guillaume Musso, Marc Levy ou Amélie Nothomb, mais ces auteurs restent des exceptions). L’effet dopant d’un prix littéraire donne le vertige : en moyenne le gagnant du Goncourt vend 300 000 exemplaires ; le Renaudot vend 150 000 ; et le Femina attire environ 100 000 ventes. Des chiffres qui ne sont pas négligeables.

Et depuis une dizaine d’années, la rentrée littéraire de septembre a même fait des petits. A partir de fin octobre/début novembre, les éditeurs et les libraires remettent les gagnants des prix en tête de gondole pour préparer Noël. Les bandeaux rouges qui annoncent les lauréats sont en effet un bel argument pour choisir un livre à offrir et certains habitués aiment offrir « le dernier Goncourt » ou « le dernier Renaudot ». Un peu à la manière du label AOC, le prix littéraire valide la qualité d’un livre et rassure le consommateur.

Autre moment fort, la « petite rentrée littéraire » du printemps. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de prix littéraires ou de livres appelés à faire date dans l’histoire littéraire. Au printemps, on parle des livres de divertissement : le dernier Sophie Kinsella par exemple a de grandes chances de sortir à ce moment de l’année. On prépare les vacances d’été, autre période de l’année où les Français achètent traditionnellement plus de livres. Avec ces différents rendez-vous, les éditeurs comme les lecteurs arrivent à structurer leur année et à ne pas trop se perdre dans le flot des nouvelles parutions.

Et la gloire dans tout ça ?

Si l’aspect mercantiliste peut faire grincer des dents les sceptiques, il faut aussi dire que la rentrée littéraire est une formidable mise en jambes pour les auteurs. En effet, les prix littéraires sont une bonne excuse pour parler de la production littéraire française, et ce n’est peut-être pas un hasard si la France est le pays dont la production littéraire est la plus dynamique (en proportion de la population globale du pays). D’ailleurs, nous sommes aussi la nation qui a remporté le plus souvent le Prix Nobel de littérature. Notre culture littéraire s’exporte très bien (même si c’est davantage vrai pour nos classiques que pour les auteurs contemporains) : Le Petit Prince est le livre de fiction le plus vendu et le plus traduit dans le monde ; on ne compte plus le nombre d’adaptations faites des Trois Mousquetaires ou du Fantôme de l’Opéra… La rentrée littéraire est donc un élément constitutif de cette vivacité littéraire française.

C’est aussi un moyen de continuer à faire exister les batailles rangées de la littérature. Certains prix ont provoqué des vagues d’indignation ou d’enthousiasme, comme le très controversé roman de Marguerite Duras qui remporte le Goncourt en 1984, en ne laissant personne indifférent ! Malgré le succès du cinéma, de la musique, des jeux vidéos et de la télévision, la littérature française défend ardemment sa peau en tirant la couverture à elle pendant un mois entier. Ce n’est pas beaucoup, mais ce dernier bastion représente un héritage considérable que les lecteurs continuent de défendre avec passion, convaincus avec raison que dans plusieurs siècles, la survivance de la littérature française leur devra tout.

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