Elementary : pourquoi ce nouveau Sherlock Holmes mérite d’être regardé

Sherlock à New York

Sherlock à New York

Après le succès de Sherlock, il fallait bien se douter que les américains auraient envie de lancer leur propre projet de Sherlock Holmes 2.0. D’autant que le taux d’audience de la mini-série de la BBC a de quoi faire rêver les chaînes américaines, toujours à l’affût de nouvelles sources de revenus publicitaires. C’est donc sans le moindre scrupule que les américains ont lancé Elementary, ou comment un Sherlock Holmes des temps modernes met ses talents à l’oeuvre dans le New York d’aujourd’hui. Une tentation télévisuelle de plus pour les fans de romans policiers. Mais derrière ce montage opportuniste, qu’avons-nous vraiment ?

Un personnage peu original…

Si on compare avec la série Sherlock, force est de constater que ce Sherlock Holmes ne brille pas par son originalité. Il est égoïste, un peu speed, ancien toxico, d’une intelligence redoutable mais peu doué pour les contacts avec ses semblables. Il y a comme un air de ressemblance. On peut arguer qu’il faut bien respecter le personnage principal, mais d’autres éléments viennent renforcer la similitude : le rapport conflictuel avec la police (et qui n’est pas toujours à son avantage), le conflit familial (bien qu’ici les scénaristes sont aller chercher un père que le canon ne nous a jamais présenté en remplacement de Mycroft) et aussi la nationalité britannique (les américains doivent apprécier cette touche « exotique », mais ne n’est pourtant pas forcément une caractéristique principale du personnage).

Avec de telles redondances, on pourrait être déçu, mais fort heureusement il y a des éléments nouveaux qui apportent un peu de fraîcheur et un semblant d’originalité au personnage. Incarné par Jonny Lee Miller, Sherlock Holmes a hérité de tatouages qui n’étaient absolument pas présents dans les livres. Ce fait est lié tout simplement au fait que l’acteur a vraiment des tatouages, et plutôt que de les cacher, la production en joue au contraire, faisant arborer à Sherlock une forme d’art corporel ou de communication qui intrigue. Est-ce le signe d’une vie underground ? Les souvenirs de son passé douloureux ? Aussi anecdotique que ce détail puisse sembler, il permet d’ancrer véritablement le personnage dans notre époque actuelle, en le rendant esthétiquement plus moderne. On nous donne à voir un corps qui appartient bel et bien au XXIe siècle.

Jonny Lee Miller, nouvelle incarnation de Sherlock, est anglais

Jonny Lee Miller, nouvelle incarnation de Sherlock, est anglais

En revanche, la mode des personnages britanniques dans des séries américaines n’est pas du tout originale. Il y a même un épisode qui fait clairement référence à Doctor House (dont l’interprète était anglais, et le personnage basé sur celui de Holmes) : Sherlock y est tenté par un flacon de vicodine (la drogue de House). Jonny Lee Miller incarne un personnage d’anglais américanisé : le maintien raide, énergique des acteurs anglais associé à une garde-robe tellement fantaisiste qu’elle aurait sa place dans un épisode de Doctor Who ! On observe d’ailleurs une radicalisation au fur et à mesure de la première saison : dans les premiers épisodes Sherlock s’habille avec des t-shirts qu’il abandonne par la suite au profit de chemises démodées. Certainement pour faire plus « british » !

Même si son interprétation est convaincante et très plaisante, Jonny Lee Miller souffre donc de quelques clichés qui affadissent un peu son personnage. Le point positif à retenir, c’est qu’il arrive par son charisme à tenir le rôle d’un personnage principal. Il offre une vraie richesse de jeu, particulièrement dans les nuances émotionnelles qu’exigent un personnage capable d’être un policier, un professeur d’école, un ado attardé, un junkie, un homme en plein désarroi et un sociopathe en un seul épisode.

… peut en cacher un autre !

La très bonne surprise de cette série ne réside donc pas vraiment dans son Sherlock Holmes, mais plutôt dans son docteur Watson. Heureusement car le pari de cette série se résumait à un coup de poker : féminiser le personnage du bon docteur.

John Watson devient donc Joan Watson (les français n’entendent même pas la différence en VF puisque les doubleurs prononcent « John » avec une ambiguïté que je suis tentée de saluer). Sous les traits de Lucy Liu, nous découvrons une chirurgienne qui a cessé de pratiquer la médecine suite au décès d’un de ses patients. Reconvertie en marraine d’abstinence, Joan Watson va avoir la charge difficile de veiller sur un client pas comme les autres : Sherlock Holmes, un anglais ancien drogué dont le métier va rapidement attiser sa curiosité.

Un docteur Watson au féminin... très au féminin

Un docteur Watson au féminin… très au féminin

Évidemment, en féminisant ce personnage, on peut se douter que la production a souhaité jouer la carte de la romance. Mais cette déduction est un peu trop hâtive. Là où les dernières adaptations ont aimé jouer la carte de la relation faussement homosexuelle, il n’y a paradoxalement pas d’ambiguïté dans cette relation homme/femme (du moins dans la 1e saison). Il n’y a pas non plus de rapport de force entre un génie et son souffre-douleur.

Watson va rapidement devenir l’élève de Holmes, et ses compétences médicales autant que son tempérament s’intègrent étonnamment bien dans l’univers chaotique d’un homme en pleine reconstruction.

La valse des personnages secondaires

Impossible de passer à côté de la mutation sexuelle du docteur Watson. Ceci dit, un lecteur averti remarquera rapidement d’autres changements dans la liste des personnages secondaires. Ici, nous ne retrouvons pas madame Hudson (probablement laissée à Londres), ni Mycroft (il sera présent dans le 1e épisode de la 2e saison), ni l’inspecteur Lestrade (idem que le précédent). Et le chien est remplacé par une tortue.

En revanche, on retrouve Irène Adler, Moriarty ainsi que d’autres éléments qui nous font sentir en territoire connu. On retrouve donc les figures policières par lesquelles les enquêtes policières deviennent possibles… et qui dans le même temps se retrouvent parfois dans le rôle d’opposants à Sherlock Holmes. Comme dans le Sherlock de la BBC, ce Sherlock Holmes entretient une relation quasiment filiale avec le policier de référence, le capitaine Gregson. Gregson se comporte comme un protecteur, lucide sur les sombres aspects de son génial enquêteur.

Aidan Quinn incarne le capitaine Gregson

Aidan Quinn incarne le capitaine Gregson

Un autre policier existe dans cette relation : l’inspecteur Bell, un jeune policier talentueux dont la relation avec Holmes va évoluer au fil de la première saison. Après s’être montré très sceptique au début, il va rapidement apprendre à se fier à l’intelligence du limier anglais. Watson fait la navette entre Holmes et les policiers pour arrondir les angles : un point commun avec le Sherlock de la BBC.

Dans les grands chambardements, on retiendra aussi une relation plus ouvertement étroite avec Irène Adler, qui se transforme même en prétexte à l’opposition de Sherlock Holmes contre Moriarty. Les deux personnages sont intimement liés dans cette intrigue, alors qu’ils ne coexistent aucunement dans les livres. A noter que dans la série de la BBC, le scénariste Steven Moffat avait fait le même choix de faire se croiser deux personnages emblématiques et tout à fait à part dans le canon. Cette lecture moderne ménage pas mal de surprises et offre de nouvelles perspectives aux scénaristes inventifs.

Les scénaristes semblent aussi avoir faire preuve de créativité en dotant notre célèbre détective d’un père jusqu’alors inconnu. Lui qui n’avait qu’un frère (et des sœurs selon que l’on adhère ou non à cette théorie) se retrouve avec une relation filiale chaotique. Le personnage du père de Holmes existe à travers Watson, puisque c’est lui qui engage cette marraine d’abstinence pour veiller sur son rejeton drogué. Mais le fil rouge qui se tisse est celui de l’absence : on ne le voit pas. Il n’apparaît pas et Sherlock lui-même insiste sur l’éloignement (géographique autant qu’émotionnel) qui s’est installé entre le père et le fils.

Les éléments constitutifs d’un mythe

Là où Elementary se détache clairement de Sherlock, c’est dans la façon que cette série américaine a de traiter les différents éléments constitutifs du mythe du personnage de Conan Doyle. Car j’insiste sur un point capital : Elementary est bel et bien une série. A l’inverse de Sherlock qui est une libre adaptation dont chaque saison se contente de travailler trois épisodes en faisant des étincelles à chaque fois, Elementary peut se permettre de gérer sa course comme un marathon, en prenant le temps de dévoiler les détails et de jouer avec les codes.

D’emblée, on remarque beaucoup de points communs avec les livres : un Sherlock brillant à l’extrême mais détaché des conventions sociales. Pour autant, on ne peut pas parler d’un antisocial. C’est un personnage en retrait avec son temps, et qui ne sait pas se retrouver tout seul. Son désarroi émotionnel peut le pousser à se mettre en danger (avec la consommation de drogues) mais seulement de manière calculée. Globalement, on a toujours l’impression qu’il maîtrise la situation.

Pour autant, ce n’est pas le personnage austère que beaucoup de gens s’imaginent. On retrouve là la vérité des livres. Le personnage dévoile aussi une certaine malice. Il n’est pas aussi éloigné des femmes qu’on le laisse croire dans d’autres séries. Et il est aussi capable d’un véritable sens de l’humour (comme par exemple dans La disparition du trois-quart ailes, l’une de mes nouvelles préférées).

Dans Elementary, on retrouve aussi le goût du personnage pour les marginaux, et en particulier les enfants des rues. Ces sentinelles sont ses yeux et ses oreilles dans les rues de la ville, et ils servent parfois de relais dans les intrigues. Au-delà de la nécessité narrative, ces personnages sont aussi de bons révélateurs de la curiosité de Sherlock Holmes pour ses contemporains, pour cette humanité qu’il observe avec beaucoup de curiosité et plus de tendresse qu’il ne le laisse paraître.

Un autre point très important dans la mythologie holmésienne, c’est bien sûr l’appartement. Ici remplacé par un immeuble new-yorkais typique, le 221 B Baker Street fait autant partie du personnage que sa capacité de déduction, sa relation avec le docteur Watson ou même son costume. Cette thébaïde est souvent le lieu de départ des enquêtes, l’endroit où arrivent les clients. C’est le repaire de Holmes, là où il mène ses expériences et s’adonne à ses mauvais penchants. C’est un refuge et une citadelle. Sa violation par un ennemi est le symbole fort de la mise en échec de l’intelligence de Sherlock Holmes. Il s’agit presque d’une extension de Holmes.

Avoir opté pour un immeuble vide ajoute l’idée de reconstruction du personnage. Ce Sherlock Holmes sort de désintoxication, il cherche à retrouver sa place, à repartir de zéro. Dans un tel contexte, l’immeuble vide est le beau symbole d’un homme qui recommence à exister. Petit à petit, les pièces vont se remplir. Au fil des épisodes, de plus en plus de personnages passent les portes de l’immeuble. La vie reprend sa place dans ces murs. Un joli lien pour définir un personnage en marche vers son propre destin. Au contact de Watson, il a réussi à se battre contre certains démons et se reconnecter avec une « vie normale ».

Un gros bon point : la qualité des enquêtes

Au-delà de toute considération en rapport avec la mythologie du personnage, il y a un argument qui va mettre tout le monde d’accord : la qualité des enquêtes. Car si Sherlock Holmes est devenu si célèbre, c’est aussi et avant tout pour la qualité de ses enquêtes. Son intelligence n’aurait pas la même renommée si elle ne se mesurait pas à des énigmes qui en valent la peine. Dans cette première saison, on a affaire à des meurtres, des vols, des mystères en tous genres, un grand esprit criminel et de nombreuses fausses pistes.

Les histoires s’équilibrent parfaitement entre l’intensité dramatique liée à l’intrigue principale et les connexions qui se font avec des fils secondaires dans lesquels on en apprend plus sur Sherlock Holmes et sur le docteur Watson. Les enquêtes sont très bien ficelées et pourtant, c’était vraiment le point qui me faisait peur. Car s’il est facile pour la série Sherlock de dévoiler des enquêtes brillantes, il faut bien souligner que cette série ne comptant que trois épisodes par saison, le travail n’est pas aussi difficile que pour Elementary.

En effet, cette seconde série comporte 24 épisodes et doit donc tenir le rythme pendant ce marathon policier, tout en proposant à chaque fois des intrigues de qualité. Le contrat est rempli en ce qui me concerne. Et j’ai vraiment beaucoup apprécié les efforts des scénaristes pour offrir des enquêtes modernes et rythmées. L’ensemble ménage pas mal de coups de théâtre et arrivent à planter le suspens de manière efficace.

La saison 2 est en cours de diffusion aux Etats-Unis

La saison 2 est en cours de diffusion aux Etats-Unis

Mon verdict

Je sais que beaucoup de gens ont trouvé cette série vraiment en-deçà de Sherlock, mais d’après les commentaires que j’ai pu lire un peu partout, la plupart des gens qui ont écrit ces critiques s’attendaient justement à un autre Sherlock. Il est bien évident qu’un tel projet n’aurait eu aucun intérêt. Cette nouvelle série est d’excellente facture. Et en ce qui me concerne, j’aurais beaucoup de plaisir à suivre les prochaines saisons.

Je note beaucoup de points positifs : les personnages sont soignés, les acteurs sont très bons, les enquêtes sont à la hauteur de la réputation du personnage, et le déplacement à New York n’a pas entamé les éléments importants qui font qu’on aime ce personnage.

Bien sûr, la série est légèrement moins originale que Sherlock, et elle est aussi beaucoup moins fidèle aux livres. Mais l’exercice de style demeure intéressant. Je pense juste que la production aurait dû imiter Docteur House qui avait abordé le mythe de façon détourné en choisissant des noms ressemblants mais en ne reprenant pas ouvertement les personnages. Cette filiation forcée aurait peut-être évité à la série de se faire malmener par des fans extrémistes.

La deuxième saison de la série est d’ores et déjà en diffusion aux États-Unis. Je vais bientôt commencer la regarder en VO, et je vous tiendrais bien-sûr au courant des nouveautés qui valent le coup d’œil. Je sais déjà que le début de saison se déroule à Londres. Un beau retour aux racines. Mais attention à ce que les deux Sherlock modernes ne se croisent pas au détour d’une rue : ça pourrait faire des étincelles !

2 réflexions sur “Elementary : pourquoi ce nouveau Sherlock Holmes mérite d’être regardé

  1. juneandcie dit :

    Très honnêtement, je pense que chacune a sa place. Il est dommage que les américains l’aient lancée dans la foulée, car ça a effectivement terriblement nuit à la série. Je salue l’exercice de style, même si, sans porter atteinte à la qualité de la série, j’accroche beaucoup moins. Ta réflexion est intéressante : l’adaptation à la Doctor House eusse peut-être été judicieux…
    Fait amusant Jonny Lee Miller et Benedict Cumberbatch jouaient ensemble au théâtre Frankenstein lorsque le projet de la série a émergé. Sherlock avait alors juste une saison. Mais la coïncidence amusante est que dans la pièce, ils jouaient en alternance d’un jour sur l’autre, le docteur et la créature. Partager des rôles, amusant pour des acteurs qui devaient finalement à l’écran partager deux adaptations d’un personnage !

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